Il n'est pas difficile de connaitre les ressorts qui animent mon être.

Dans ma tête, il y a Dieu. Le diable.

Le diable d'abord. Dans mon jeune âge, il était heureux. Je faisais toutes les conneries qui me passaient par la tête.Je partais souvent dehors.Et je me retrouvais la nuit tombée dans des endroits pas possible. Le diable n'aime pas les frontières. Aller loin ne m'a jamais fait peur.
Le Diable était toujours là, dans mon sang, même les rares fois où je le détestais.
Je garde de ce temps cette grisante sensation de désir, un nectar visqueux d'interdit dans ma bouche.

Dieu est Grand, et Miséricordieux. Dieu apporte la paix et de la blancheur dans mon âme. Ce sentiment que je peux glisser sur la vie sans colère. Dieu était dans les livres que je feuilletais des yeux. Et la fenêtre qu'IL m'ouvrait sur la réalité m'aspirait dans un monde parallèle où les étoiles étaient proches. Ou la vérité était un prisme parfait. Dieu est un espace blanc dans lequel je suis libre de mes rêves d'absolu. Dieu est un lac d'air translucide. D'en haut, le monde était un fétu de paille.
J'ai prié des nuits entières, les jambes usées par les génuflexions et le front gravé des plissures du tapis. J'ai prié des nuits entières pour le repos d'autres, et un peu pour le mien. Dieu est Absolu, mais c'est dur... J'aimais bien marcher sur un nuage. Et tomber une seconde après dans le vide, à cause de mon poids sur cet amas de vapeur blanche.

Je n'étais pas illuminé. J'étais humilité. J'étais humidité lorsque ma pensée effleurait son Trône.
A la mosquée, les arabesques sur les murs m'emportaient au désert. Le ciel bleu s'engouffrait dans chaque rainures de mes rides. Mes rêves avaient un sens. Dieu n'était pas seulement une bonne explication du monde. C'était mon monde, et je ne demandais plus d'explications.

L'homme a la tête dans la pureté du ciel, mais les pieds enfoncés dans la boue... on n'y peut rien, c'est comme ça...peut être que je me suis trop étiré entre ces deux extrêmes... Il faut qu'on accepte le fait qu'on ne peut être ni soit l'un, ni soit l'autre.

Je ne l'ai jamais accepté. Quand bien même je savais les nuances les plus infimes qui peuvent structurer un être, cette contradiction, je ne l'ai jamais accepté pour moi. Mais il était dit que j'aimerais Dieu de toute mes forces. Et que j'obéïrai au diable comme un pantin.

Dieu me demande de pardonner.
Le diable me donne des envies de meurtres.
Dieu est grand.
Le diable est bon.
Dieu est Puissant.
Le diable est fort.
Dieu pardonnes.
Le diable m'ordonne.
Dieu me Libère.
Le diable m'enchaîne.
Dieu me rend sage.
Le diable me rend libre.
Dieu me rend sobre.
Le diable m'énivre.
Dieu me préserve de l'Enfer.
Le diable m'envoie au paradis.
Dieu sait mes faiblesses.
Le diable use mes forces.

Tout à l'heure, en voyant passer,tout prés de chez moi, juste au moment de l'appel à la prière du Dohor, une jeune femme aguichante aux sapes moulants marchant vers l'arrêt de bus....
Et j'ai dit : Oui... Dieu. Le diable.
Dieu m'a dit de faire mes ablutions et de répondre à l'appel. Le diable m'a chuchotté de la suivre.

Des fois, je me dis que la société marocaine me ressemble. Elle est schizophrène, comme moi. Les bars ferment avant l'appel à la prière de l'aube. Des femmes vous parlent de religion alors qu'elles viennent juste de se faire troncher.
A Marrakech, il y avait une vieille ruelle, quartier de maisons closes où les clients faisaient leurs office au son de la voix des mendiants aveugles qui, dehors, en horde contre les murs, récitaient des versets du Coran. La transgression est parfois le meilleur aphrodisiaque. Mais il faut avoir la pleine conscience de sa "faute". Etre deux hommes contradictoires. Comment mélanger en moi les deux mondes...

Je ne pourrais jamais me reconnaitre dans le cynisme riant d'un dandy ivre de lucidité sur sa condition de pauvre merde dans ce monde qui est sans issu et que même la sortie de secours est verrouillée putain de bordel alors rions un peu avant la mort. Je ne pourrais jamais me reconnaitre dans l'atitude d'un homme qui répète "Masha Allah" à tout bout de champs avec des yeux exorbités de la félicité aveugle d'une bienpensance qui vous dit je suis serein parce que je suis meilleur que vous et j'ai raison sur vous parce que je suis dans la voie droite, pourquoi?

Pourtant, ces deux mondes me parlent... Je suis l'un et l'autre...

-Qu'est-ce qui se passe?...
-Je sais pas... Je me sens bizarre en ce moment... Je m'interroge...
-Tu t'interroge sur quoi?...
-C'est une sensation étrange... J'ai l'impression de redevenir quelqu'un d'autre... Un pan entier de ce que j'étais est en train de ressurgir... Et j'ai pas envie de redevenir ce que j'ai été...
-Pourquoi?...
-J'ai toujours lutté contre mes pulsions, mes bassesses... Parce que je voulais m'élever, plaire à Dieu. Aux gens aussi... Mais surtout parce que je voulais lutter contre des injustices...
Sourire narquois.
-Non, sérieux... Continue-je, les pires injustices frappent ce monde, parce que les hommes sont incapables de contrôler leurs pulsions, incapable de penser à autre choses qu'à leur satisfaction personnelles... Je m'étais dit que si je pouvais changer ça, en me changeant moi-même. Je pouvais peut-être changer le monde à ma façon... J'ai peur d'échouer... Peur de savoir que ce qu'il y a en moi est plus fort que tout... ça voudrait dire que j'aurais fait tout ça pour rien... Que toute ces années de sacrifices auraient servi à rien... Tu comprends?... J'ai l'impression que si j'échouais, ça voudrait dire que ce monde ne pourrait pas changer, et qu'il n'y a pas d'espoir de lutter contre ce qui nous détruit...
-Tu sais, faut pas ramener le monde à toi...
-Je le ramène pas à moi, mais à l'Homme en général...
-Mais si c'était une bonne chose de sortir enfin de la prison où tu t'es enfermé? Si tu t'ouvrais enfin?...
-Je n'ai pas envie de savoir ce qui pourrait sortir de cette prison...
-Pourquoi?
-Si c'était le diable qui sortait de la boite?

un bon moment de reflexion....puis:

-Au moins, ça serait toi.